Sarkozy ou Hollande ≈ Hobbes ou Rousseau ? Spinoza comme arbitre

Le débat Hobbes/Rousseau est-il pertinent pour comprendre le duel présidentiel Sarkozy/Hollande ? Telle est la question à laquelle Philosophie Magazine a proposé de réfléchir en ce mois d’avril, à 10 jours du premier tour des élections.
Hobbes
Pour Hobbes, l’homme est un être désirant et animé par la vanité. C’est ainsi que les hommes sont enclins « à s’attaquer et à se détruire les uns les autres. » A l’état de nature, les hommes vivent sous la menace permanente de la mort violente. Cette peur d’être attaqué par les autres détruit toute possibilité de prospérité et de progrès. Aucune vie en société n’est donc possible sans un pouvoir autoritaire qui empêche la guerre de tous contre tous. Poussés par la peur, les individus deviennent assez raisonnables, selon Hobbes, pour instaurer un pouvoir central souverain chargé de faire régner l’ordre et la sécurité. En retour chacun renonce à son droit de nature. Le pouvoir souverain est absolu mais il propose en échange de l’obéissance la protection contre la violence.
Hobbes écrit : « Nul n’a la liberté de résister au glaive de l’État pour défendre un autre, qu’il soit coupable ou innocent, parce qu’une liberté semblable prive le souverain des moyens de nous protéger et détruit, par conséquent l’essence même du gouvernement. » Le sacrifice de la liberté individuelle est donc le prix à payer pour la sécurité. Convaincu que « l’homme est un loup pour l’homme » Hobbes a donc imaginé un État-Léviathan qui fasse peur aux hommes pour éviter le retour à «la guerre de tous contre tous », qui caractérise selon lui l’état de nature.

Rousseau
Rousseau, de son côté, défendait au contraire une bonté naturelle originelle, corrompue par la société et appelée à être réactivée par un « contrat social ». Déjà, dans le Discours sur les sciences et les arts (1750), il montrait que la corruption des mœurs accompagne toujours le développement des sciences et des arts. Autrement dit, le luxe nourrit les inégalités et détourne les hommes de leur devoir. Il écrit : « on a de tout avec de l’argent, hormis des mœurs et des citoyens ». Le luxe prend racine dans une société lorsque les citoyens donnent libre cours à leurs désirs individuels de confort et de richesses. Ces désirs créent des inégalités entre les citoyens en plus d’affaiblir leur dévouement au bien commun. Quelles limites faudrait-il alors fixer au luxe ? La réponse de Rousseau est que « tout est source de mal au-delà du nécessaire physique. La nature ne nous donne que trop de besoins ; et c’est au moins une très haute imprudence de les multiplier sans nécessité, et de mettre ainsi son âme dans une plus grande dépendance ». Par conséquent, selon lui : « l’une des fonctions les plus importantes du gouvernement est de prévenir l’extrême inégalité des fortunes. » Les impôts doivent être conçus de manière à construire une société juste à travers l’éradication de la consommation superflue.

Or, il est bien vrai que Nicolas Sarkozy semble proche de la philosophie autoritaire de Hobbes, là où François Hollande rejoint l’aspiration égalitariste de Rousseau. Vu sous cet angle, le débat, en apparence atone, de la présidentielle prend un relief tout à fait inattendu. Mais on peut même aller plus loin, n’est-ce pas au fond le duel droite/gauche dont il est question à travers ce débat Hobbes/Rousseau ? N’est-ce pas, à des degrés divers, toute la droite française qui serait hobbesienne, tandis que la gauche, écologistes compris, serait rousseauiste?

A notre avis, il s’agit là d’une fausse similitude (le signe ≈ du titre est celui de la similitude). Comparaison n’est pas raison. La comparaison ne porte que sur certains points et ne tient pas compte d’autres aspects. En fait, Loin d’être l’affrontement de deux visions opposées de la politique, l’opposition entre Hobbes et Rousseau propose  deux versions peu différentes d’un même dogme : celui de l’étatisme ou de l’État comme fin et non comme moyen. L’un défend la souveraineté absolue du Prince, l’autre la souveraineté absolue de la volonté générale, c’est-à-dire du législateur. On ne trouvera ni chez Hobbes, ni chez Rousseau, une philosophie du gouvernement limité, ni même une philosophie de la protection des droits individuels, en particulier du droit de propriété. La souveraineté politique est tout aussi absolue chez Rousseau que chez Hobbes. Voilà pourquoi la pensée libérale dénoncera en Rousseau un des pères du despotisme et en triomphera en réussissant à imposer des mesures limitatives au pouvoir législatif, comme par exemple, le conseil constitutionnel en France.

Opposer Sarkozy à Hollande sur fond d’opposition entre Hobbes et Rousseau ne nous semble donc pas pertinent et ne peut que faussement éclairer le débat électoral. Y a-t-il encore un véritable clivage droite/gauche dans le paysage français ? La droite a renoncé au libre marché au profit d’un interventionnisme moralisateur (« moraliser le capitalisme ») et d’une politique fiscale collectiviste. De son côté, la gauche a renoncé aux dogmes de la planification collectiviste et de la lutte des classes et se veut pragmatique. Bref, à droite comme à gauche, on rejette les doctrines, qualifiées d’ « idéologies » et on accepte tous les compromis. Les deux pôles fusionnent au sein  de ce qu’on appelle la social-démocratie : État-providence, justice sociale, prélèvements obligatoires, assistanat, multiculturalisme… c’est le prix de la paix sociale.  Et la différence entre droite et gauche est réduite à quelques nuances, des dosages presque chirurgicaux.

Alors, comment opérer un choix qui ne soit pas celui de la connaissance du premier genre : celui-ci est trop « bling-bling », celui-là si « mou » ; l’un connaît bien ses dossiers, l’autre moins ou encore, le premier est opportuniste alors que le second évite de prendre certaines positions, bref, la connaissance généralement induite par les médias ?

Ici, à nouveau, Spinoza peut nous aider. La philosophie politique de Spinoza ne se trouve pas telle quelle dans l’Ethique, mais dans son dernier ouvrage, laissé inachevé par sa mort en 1677, le  «  Traité Politique ».

Pour Spinoza, La seule raison d’être des institutions politiques est qu’elles permettent de vivre ensemble à des hommes qui n’y sont pas naturellement disposés, parce que la haine et  l’envie dominent leurs comportements. Les institutions politiques sont bien rationnelles, en ce sens qu’on peut expliquer pourquoi et comment elles réussissent ou échouent, mais elles ne doivent jamais être conditionnées par le comportement raisonnable (ou non) de leurs utilisateurs. Ce qui fait leur valeur est précisément d’être assez indifférentes aux qualités ou défauts des individus pour pouvoir fonctionner, avec autant d’efficacité, lorsque ceux-ci sont conduits par la raison ou lorsqu’ils sont soumis aux pires passions. De bonnes institutions sont ainsi capables de forcer les plus inconstants à  se comporter comme s’ils étaient loyaux (chap. 1, § 1, IV, pp. 13-14).

Mais si la valeur des institutions politiques ne dépend pas de la sagesse des hommes, il peut se faire qu’à l’inverse, la sagesse des hommes dépende des institutions politiques, non qu’elles puissent rendre les hommes sages – ce n’est pas leur fonction -mais parce qu’elles mettent en place les conditions sans lesquelles la sagesse ne pourrait naître ou s’épanouir. Pouvant, grâce à elles, coexister de façon durable avec les autres, chacun est incité à concevoir l’humanité par notions communes, et non plus par idées générales, par le second genre de connaissance, la Raison, et non plus par le premier genre, l’Imagination. La vie en communauté donne à l’individu une chance de comprendre que la Raison, par laquelle il s’accorde avec tous les autres, est en même temps ce qui lui est propre au plus haut point. Elle doit contribuer par conséquent à réduire les effets majeurs de l’aliénation passionnelle.

Ainsi, bien que les institutions de la cité ne soient pas faites pour lui, le sage est-il celui qui peut le mieux en profiter. Il sait voir, dans la contrainte commune qu’elles lui imposent, autre chose qu’un mal nécessaire pour sa sécurité : un véritable fondement pour sa liberté, c’est-à-dire pour le déploiement maximal de sa propre puissance d’être et d’agir. Le sage, l’homme qui  agi, autant que faire se peut, sous les préceptes dictés par la Raison, choisira donc le candidat dont les positions lui paraitront le plus à même de lui permettre d’œuvrer dans le sens de ce déploiement maximal de sa puissance, et de celle de tous, car « Le bien que quiconque pratique la vertu désire pour lui-même, il le désirera aussi pour les autres hommes, … » (Ethique, quatrième partie, proposition 37). Alors, comme les différences  entre droite et gauche représentées respectivement par Sarkozy et Hollande, se limitent actuellement à des points de détails, pour ce sage, « Dieu se trouvera bien dans les détails » et il se devra d’examiner soigneusement les programmes électoraux présentés par les candidats afin de voir dans lequel il pourra le mieux trouver le moyen de développer ces puissances d’agir.  C’est l’attitude à la fois sage et citoyenne pour Spinoza.

Jean-Pierre Vandeuren

Une réflexion au sujet de « Sarkozy ou Hollande ≈ Hobbes ou Rousseau ? Spinoza comme arbitre »

  1. La politique de la cité ou du pays n’est plus un moyen de penser le bien vivre ensemble, mais le pretexte à diverses revendications sociales qui serait l’alpha et l’omega de ce bien vivre!. L’électeur projette une réprésentation du monde – de son monde-, dans un candidat. L’ignorance du citoyen sur le plus grand nombre de sujets (droit, économie, finance ) est manifeste ! La part de l’imaginaire et de la passion triste s’est emparé du citoyen. Le caractère régalien et autoritaire de l’état n’interessant le citoyen que lorqu’il agit à son avantage, et étant aussitôt décrié dans l’ordre de la généralité. La liberté devant lui être assuré avec le moins de contrainte, mais la solidarité – c’est à dire la contrainte des autres -., fonctionner au moindre souci pour lui. Nous sommes dans le premier genre de connaissance (celui des idées confuses, habillées de « moraline », pour cacher d’autres appétits..
    Le mot « social » enterinne une grande confusion entre le publique et le privé. A ce titre s’approprier 75% des revenus d’une personne par l’impot, en lui laissant le passif de son entreprise, la responsabilité civile et pénale de son activité , est….extravagant. Mieux vaudrait achter une telle entreprise, la « nationnaliser ». Par respect d’une éthique !
    En fait l’individu moderne occidental ou tout du moins Français , rève d’un monde à la Disneyworld, sans radicalité. Une société d’assurance multirisque ou tout ce qui marche récupère ce qui ne marche pas, sans se demander pourquoi certaines choses marchent et pas d’autres.
    Un monde de clients consommateurs plutôt passifs et équipés de toutes les opinions que permettent la passivité. Un monde de salarié. (pour beaucoup d’indépendants agriculteurs, petits commerçants, artisans…chaque jour qui se lève est une leçon de courrage.
    Le monde médiatique dont on pouvait imaginer qu’il jouerait un rôle dans le « savoir », a été submergé par le monde du discours, c’est à dire l’asile de l’ignorance. (Le politque a remplacé le religieux, les micros les goupillons, et les studios de la TV les églises). On prêche maintenant à longueur de journée. Le nouvel empire de l’homme est la satifaction de ses apétits.

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