Deuxième partie : de la nature et de l’origine de l’esprit (anthropologie)
L’esprit humain est une idée dont le corps est l’objet. Spinoza se doit donc de considérer d’abord le corps. Il le fait selon deux points de vue que l’on peut visualiser grâce aux trois niveaux.
Le point de vue cinématique :
Essence singulière = rapports caractéristiques entre ses composantes
Rapports caractéristiques = rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur
entre les parties « extensives » et qui caractérisent l’individu
Infinité de parties extensives extérieures les unes aux autres
Le point de vue dynamique :
Essence singulière : degré de puissance
Pouvoir d’être affecté et d’affecter
Affections et affects
Maintenant, l’esprit humain, en tant qu’idée, a comme unique activité de penser, d’avoir des idées. Mais ces idées commencent toujours par être inadéquates, car l’homme est immergé dans un monde de « signes » : (La présentation qui suit est inspirée d’un cours de Deleuze)
Il y a un état de fait, un état de nature, pour l’homme et c’est le monde des signes.
Les signes sont des expressions équivoques : du langage (corporel et linguistique), des dieux (prophétie) et de la société (récompenses, punitions).
Il y a trois genres de signes :
Les signes indicatifs, affections, perceptions et affects, qui fournissent une connaissance inadéquate des choses et mènent à l’illusion du libre arbitre ;
En reprenant notre présentation en trois niveaux :
Essence singulière d’une chose
Connaissance : signes indicatifs (perceptions)
Individu singulier existant
Les signes impératifs, les fictions, l’imagination, tendance à croire réel ce qui n’est qu’image, tendance que l’on trouve dans le rêve, dans l’hallucination et dans le dogmatisme, qui prend pour réel des symboles, qui fournissent une connaissance inadéquate des lois (rapports de composition) et mènent à l’illusion des causes finales ;
Schéma en trois niveaux :
Lois
Imagination
Constations empiriques de causes-effets
Les signes interprétatifs, interprétations, mémoire et abstractions, qui fournissent une connaissance inadéquate de la nature de Dieu, et qui mènent à l’illusion théologique.
Schéma :
Dieu
Interprétations, révélations, prophéties
Humain
Les trois caractéristiques du signe sont : la variabilité, l’associativité et l’équivocité.
Par opposition, les lois naturelles sont caractérisées par la constance, la systématicité et l’univocité.
Le but de Spinoza, pour permettre la libération de l’homme de sa servitude passionnelle, est de passer d’un monde des signes, donc équivoque, à un monde des lois, donc univoque.
Dans cette optique, il y a donc trois problèmes pratiques, qui, dans chacun des domaines précédents, vise à remplacer le mauvais outil de connaissance provenant du monde des signes par le bon outil de connaissance basé sur la raison :
- Conscience et illusions
Essences singulières : chaque chose et chaque être humain
Problème pratique : quel outil de connaissance pour atteindre ces essences, sachant que le
mauvais outil est constitué par les signes indicatifs ?
Vécu : conscience inséparable de l’illusion
- Les valeurs
Essence : les causes (lois)
Problème pratique : quel outil de connaissance pour atteindre une idée des vraies causes
(idées adéquates), sachant que le mauvais outil est constitué par les
signes impératifs ?
Vécu : notre condition naturelle est inséparable d’une connaissance confuse et mutilée des
vraies causes (idées inadéquates)
- Les passions tristes
Essence : notre puissance d’agir (actions)
Problème pratique : quel outil de connaissance pour atteindre un maximum d’actions
et puis de joies actives, sachant le mauvais outil est constitué des
signes interprétatifs?
Vécu : notre place dans la nature semble nous condamner aux mauvaises rencontres et aux
Tristesses
Dès lors, Spinoza est amené à envisager trois genres de connaissance, qui s’intègrent dans notre schéma de présentation en trois niveaux :
3e genre = Intuition : lien entre les essences individuelles et Dieu
2e genre = Raison : propriétés des choses, notions communes, relations
1er genre = opinions, imaginations, monde des signes
Ou, en d’autres termes :
Essence intelligible (libération de toute expérience)
Idée générale (abstraction sur plusieurs expériences)
Image individuelle (expérience individuelle)
Ou encore, en adoptant un point de vue particulier de géométrie :
Equation algébrique (aucune représentation. Ex : x^2 + y^2 = 1)
Représentation générale, générique (Ex : un cercle quelconque)
Figure sensible individuelle (Ex : un cercle particulier)
La voie de la libération spinoziste, la réponse à chacun des problèmes pratiques soulevés, consistera à passer progressivement du premier genre au troisième genre de connaissance. Nous le (re)verrons en retrouvant nos trois niveaux dans chacune des trois parties suivantes de l’Ethique.
Jean-Pierre Vandeuren