Dans les articles précédents, nous avons vu que la jalousie de Swann suit nécessairement de sa conception de l’amour.
On peut légitimement se poser la question de savoir si ce n’est pas le cas en général : la jalousie n’est-elle pas toujours une conséquence nécessaire de l’amour humain ?
Tel est bien le cas si l’on accepte de se placer dans le cadre de l’Ethique.
En effet, tout démarre car l’homme éprouve nécessairement le besoin de faire en sorte que les autres hommes aiment ce qu’il aime, et donc, en particulier, aiment son amant(e) :
« Il suit de là que chacun fait effort, autant qu’il peut, pour que les autres aiment ce qu’il aime » (Eth III, 31, corollaire).
Mais alors, la crainte va aussi s’insinuer en lui :
« De plus, comme le bien suprême que la passion fait désirer aux hommes est souvent de nature à ne pouvoir être possédé que par un seul, il en résulte que les amants ne sont pas toujours d’accord avec eux-mêmes, et, tout en prenant plaisir à célébrer les louanges de l’objet aimé, craignent de persuader ceux qui les écoutent » (EIV, 37, scolie 1).
La crainte étant « une tristesse inconstante, née de l’idée d’une chose future ou passée dont l’issue nous paraît dans une certaine mesure douteuse » (Eth III, définition 13), notre personnage va s’efforcer d’éloigner cette tristesse (car « Tout ce que nous imaginons conduire à la tristesse, nous nous efforçons de l’écarter ou de le détruire » (Eth III, 28)).
Pour éloigner cette tristesse provenant d’une issue incertaine, il va donc rechercher des certitudes, à la fois du côté de l’autre qu’il a amené à aimer son amant(e) et du côté de celui ou celle-ci.
Très conscient que « Quand nous aimons un objet qui nous est semblable, nous faisons effort, autant que nous pouvons, pour qu’il nous aime à son tour » (Eth III, 33), il va s’imaginer que la personne tierce, aimant son amant(e), parce qu’ayant été amenée à l’aimer par lui-même, va s’efforcer de s’en faire aimer aussi. C’est ainsi qu’imaginairement, de personne tierce, l’autre est devenu rival(e) !
Tout aussi conscient du fait que « Celui qui imagine qu’il est aimé d’une certaine personne, et croit ne lui avoir donné aucun sujet d’amour, aimera à son tour cette personne » (Eth III, 41), il va s’imaginer que son amant(e), se voyant aimée par la tierce personne, va être porté(e) à aimer ce tiers. Ainsi naît la suspicion à l’égard de l’amant(e).
La jalousie est ainsi déduite de l’amour ; elle s’ensuit nécessairement.
Jean-Pierre Vandeuren