Le langage : les maux des mots, les mots des maux et les mots qui sauvent (7/8)

L’influence de la théorie saussurienne fut immense, non seulement en linguistique, mais, à travers le structuralisme (sommairement, le structuralisme est un courant des sciences humaines qui s’inspire du modèle linguistique de de Saussure et appréhende la réalité sociale comme un ensemble formel de relations), en ethnologie (Claude Lévy-Strauss), en sociologie (Pierre Bourdieu), en philosophie (Michel Foucault, Louis Althusser) et en psychanalyse (Jacques Lacan).

Dans le domaine linguistique, il nous semble pertinent de remettre en question le caractère arbitraire des mots ainsi que l’abandon de l’aspect diachronique de leur étude.

Les mots motivés 

Darwin est l’inventeur du concept d’évolution biologique. Il apparaît cohérent dès lors qu’il adapte une même position évolutive en ce qui concerne le langage.

Sa thèse est que notre usage du langage diffère en degré, et non en nature, des systèmes de signes employés par d’autres animaux. Notre langage, pensait-il, n’est probablement qu’une extension naturelle d’un tel système primitif :

« Je ne puis douter que le langage trouve son origine dans l’imitation et la modification des divers sons naturels, des voix d’autres animaux et des propres cris instinctifs de l’homme, avec l’appui de signes et de gestes (…) sur la base d’une analogie très étendue, nous pourrions en conclure que ce pouvoir se serait tout particulièrement exercé à l’occasion de la cour entre les sexes – qu’il aurait exprimé diverses émotions telles que l’amour, la jalousie, le triomphe – et qu’il aurait servi à défier ses rivaux. Il est probable donc que l’imitation des cris musicaux au moyen de sons articulés a donné naissance à des mots exprimant diverses émotions complexes (…) n’est-il pas possible qu’un singe exceptionnellement sagace ait imité le grognement d’une bête de proie et qu’il ait ainsi prévenu ses camarades singes de la nature du danger à attendre ? Ceci aurait été un premier pas dans la formation du langage. »

Mais alors, si l’on adopte ce point de vue, il faut poursuivre le raisonnement et essayer de reconstruire le processus d’élaboration des mots et, dans la foulée, contredire le total arbitraire du signifiant postulé par Saussure.  C’est la thèse défendue par le docteur Christian Dufour dans son livre Entendre les Mots qui disent les Maux :

« Un surgissement brutal du langage est en contradiction avec l’opinion scientifique moderne qui, depuis Darwin, ne considère l’homme que comme un descendant évolutif de la lignée des primates, et ne peut concevoir son langage que comme un continuum évolutif, un processus long, lié à l’évolution du contenu de la boîte crânienne propice à cette nouvelle faculté.»

Cette position était cependant déjà défendue bien avant lui par le linguiste allemand Auguste Schleicher (1821 – 1868), pour qui les deux propositions suivantes doivent être admises :

  1. Les langues sont des organismes naturels.
  2. Leur évolution est régie par la loi de transformation des organismes naturels déduite de l’observation et de l’expérimentation darwiniennes et contenue dans le principe de la sélection, du combat pour l’existence et de la survivance des plus aptes.

Et avant eux, Rousseau imaginait déjà que le premier langage de l’homme est le  » cri de la nature « . Un cri arraché par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes (peur, souffrance, joie…). Puis, au fur et à mesure que la communication entre eux s’est étendue, les hommes cherchèrent des signes plus nombreux, inflexions de voix, gestes expressifs, sons imitatifs avant de parvenir à des sons articulés.

C’est dans cette veine que se situe l’approche de

Christian Dufour

Christian Dufour est médecin de famille en périphérie de Besançon. Depuis plus de 33 ans il soigne les maux des gens et, bien entendu, il est à l’écoute des mots qui relatent ces maux. Interpellé par ce lexique de communication de la souffrance humaine, il s’est interrogé sur la correspondance entre les maux vécus et les mots dits (maux dits !).

Partant, comme le suggère Rousseau, des onomatopées de la douleur, il propose une reconstruction possible des mots –une première « psychanalyse des mots », selon ses termes – à partir d’un code qu’il qualifie de « Code Sacré de l’Inconscient ». Disciple de Freud, il avance ainsi avoir découvert la fameuse Grundsprache (« langue des profondeurs ») que celui-ci analysait au travers des rêves, des lapsus et des jeux de mots notamment. Disciple de Lacan, il suit son intuition selon laquelle « l’inconscient est structuré comme un langage ».  Médecin moderne, il est au fait des avancées scientifiques sur le cerveau et, entre autres, sur la division de ses fonctions selon la latéralité, notamment que le cerveau gauche est le siège de la raison, du calcul, de la pensée logique, qu’il fonctionne « en série », traitant les informations les unes après les autres, processus établi lors d’apprentissages conditionnés, tandis que le cerveau droit fonctionne « en parallèle », assimilant en une fois la totalité des messages transmis par les sens, sans la médiation du langage appris. Christian Dufour fait alors du cerveau gauche le siège du conscient et du droit celui de l’inconscient.

L’une des ambitions de Christian Dufour est alors de démontrer qu’il existe une langue inconsciente, utilisant comme unités, non pas les signes verbaux conventionnels, les mots, mais des unités plus petites qui symbolisent le référent (l’image que nous voulons désigner) à notre insu.  Ces unités, il les nomme des codons (ils vont nous permettre de décoder la langue inconsciente), qu’il pense valides pour toutes les langues, au moins indo-européennes.

A l’instar de Darwin et de son disciple Schleicher cités plus haut, Christian Dufour, voit la langue comme un organisme naturel, biologique, dont la formation, l’ontogenèse, s’est effectuée avec les briques d’un langage primitif, de sons, d’onomatopées, de cris primitifs. En biologie, il est établi que l’ontogénèse des organes (leur formation) retrace les grandes étapes de leur phylogénèse (leur évolution au cours du temps). De façon analogue, pour le cerveau et ses aptitudes langagières, tout se serait aussi réalisé par étapes et l’ontogénèse des langues devrait aussi récapituler leur phylogénèse. Christian Dufour avance que l’hémisphère droit serait le gardien des briques primitives du langage, des codons.

Ces codons, unités signifiantes du langagesont censés traduire et communiquer, d’une part, nos émotions (la crainte, par exemple) ainsi que notre représentation géométrique des choses (haut, pointu, etc.), ce qui fait que si les mots courants sont constitués à partir des codons, ils ne sont plus désincarnés, arbitraires, sans lien avec leur signifié.

Techniquement, les codons apparaissent en gros comme des jonctions intersyllabiques (le « od » de dodo, par exemple). Ils sont constitués en général de deux lettres, au maximum trois ou de deux phonèmes (unités sonores du langage). Ils sont classés principalement en ce qu’ils sont censés traduire (les émotions et les schémas géométriques), soit  en « émotèmes » (couples de phonèmes ou de  lettres reliés à une émotion spécifique, par exemple, « ia » pour traduire la crainte, présent dans le mot « diable »), en « schémèmes » (couples de phonèmes ou de lettres reliés à un schéma visuel statique, tel « dr » de la ligne droite, ou dynamique, tel que « out » qui traduit l’idée de « sortir de », « projeter », comme dans « bouté »). Ils sont listés à la fin de l’ouvrage Christian Dufour.

A cela, il faut ajouter une syntaxe élémentaire, notamment : les lettres de l’alphabet reçoivent trois significations (par exemple, la lettre «m», en minuscule, est une symbolisation de la matière ou de l’onde, tandis qu’en majuscule, « M », elle symbolise la personne) ;  les mots courants se décomposent en lettres isolées et en codons, par exemple « maison » peut (car il y a différentes découpes possibles, ainsi que plusieurs interprétations d’un même codon, ce qui correspond bien à la polysémie de nombreux mots) se découper de la façon suivante m/ais/on ; la traduction en langage du cerveau droit se lit de droite à gauche : on-ais-m et se traduit, grâce au lexique fourni, en « couvre d’aise matérielle », si le m est minuscule ou « couvre d’aise la personne » si le M est majuscule.

Jean-Pierre Vandeuren

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