Une interprétation spinoziste de l’hypnose (2/10)

Définition de l’hypnose

Mais cette recherche débute mal car il semble y avoir autant d’appellations et de définitions que d’auteurs.

En ce qui concerne les appellations, citons, parmi les plus obsolètes : « état de magnétisation », « mesmérisation », « sommeil artificiellement provoqué », «sommeil nerveux », « sommeil lucide », « somnambulisme », « état neuropathologique », « régression psychique massive », « hystérie », « rêve éveillé », « suggestibilité élevée », « état altéré de conscience », etc. Parmi les plus récentes, relevons : « état modifié de conscience », « quatrième état », « état de haute concentration », « veille paradoxale », « jeu de rôles », « attention dissociée », « excitation du cerveau droit », « exaltation des facultés imaginatives et créatives de l’esprit », « mode de communication », « art de vivre »…

D’ailleurs, le terme même d’« hypnose » est déjà mal choisi. En effet, Fils de la Nuit et frère jumeau de la Mort, Hypnos personnifie le Sommeil dans la mythologie grecque. Le même nom propre sert d’étymologie à l’ensemble de phénomènes cliniquement observables réunis sous le vocable d’hypnose, et aux médicaments induisant le sommeil. Cette assimilation sémantique qui semble peu pertinente tant il est apparaît que l’état hypnotique n’est en rien un état de sommeil, est due à James Braid, chirurgien britannique du 19e siècle, qui a forgé le terme d’hypnose pour désigner de façon plus scientifique ce que Mesmer, son collègue et prédécesseur allemand, avait appelé au 18e  siècle le magnétisme animal.

Maintenant, les définitions proposées de l’hypnose varient également selon les auteurs. Mentionnons-en quelques-unes :

De l’Association Médicale Britannique, la plus utilisée :

« L’hypnose est un état passager d’attention modifiée chez le sujet, état qui peut être produit par une autre personne et dans lequel divers phénomènes peuvent apparaître spontanément ou en réponse à des stimuli verbaux ou autres. Ces phénomènes comprennent un changement dans la conscience et la mémoire, une sensibilité accrue à la suggestion et l’apparition chez le sujet de réponses et d’idées qui ne lui sont pas familières dans son état d’esprit habituel. En outre, des phénomènes comme l’anesthésie, la paralysie, la rigidité musculaire et des modifications vasomotrices peuvent être, dans l’état hypnotique, produits et supprimés. »

De « l’Encyclopédie Médicochirurgicale », d’après Jean Godin :

« Mode de fonctionnement psychologique dans lequel un sujet, grâce à               l’intervention d’une autre personne, parvient à faire abstraction de la réalité environnante tout en restant en relation avec l’accompagnateur. Ce « débranchement de la réaction d’orientation à la réalité extérieure » qui suppose un certain « lâcher-prise » équivaut à une façon originale à un niveau de fonctionner, à laquelle on se réfère comme à un état. Ce mode de fonctionnement particulier fait apparaître des possibilités nouvelles : par exemple des possibilités supplémentaires d’action de l’esprit sur le corps, ou de travail psychologique inconscient. »

Pour Milton Erickson, l’hypnose est avant tout « un état de concentration mentale durant lequel les facultés de l’esprit du patient sont tellement accaparées par une seule idée ou par un train de pensées que pour le moment, il est mort ou indifférent à toute autre considération ou influence. »

Pour le docteur Marie-Elisabeth Faymonville, médecin belge, l’un des pionniers de l’anesthésie sous hypnose, l’hypnose « place le patient dans un état de conscience intermédiaire, entre veille et sommeil, provoqué par la stimulation verbale. C’est un état d’extrême concentration auquel chacun peut accéder, à condition d’être consentant et motivé ».

Pour David Spiegel, Professeur de psychiatrie et de sciences comportementales à l’université de Stanford, il est question d’une hyperfocalisation, avec une suspension relative de la conscience périphérique.

Selon l’encyclopédie du Larousse, l’hypnose est une « technique propre à induire un état de sommeil partiel, différent du sommeil habituel. L’état obtenu par hypnose préserve certaines facultés de relation, en particulier entre l’hypnotiseur et le patient, mais entraîne une capacité d’abstraction par rapport à la réalité extérieure.»

Ailleurs, encore :

« L’hypnose est un état modifié de conscience qui privilégie un fonctionnement psychique différent de la pensée rationnelle, proche de l’inconscient ou de la pensée archaïque et infantile, et dans lequel dominent l’atténuation du principe de réalité et de la notion de temporalité, la disparition de la pensée logique, et la suspension du principe de non-contradiction. L’hypnose engage également une sorte de transfert qui permet à l’hypnotiseur d’entrer en contact avec le sujet hypnotisé via son inconscient pour favoriser l’imagerie mentale, l’imagination, la sensibilité (voire l’extra-sensibilité), les associations d’idées. Dans cet état d’extrême suggestibilité, le sujet est rendu apte à accepter des idées plus facilement qu’à l’état de veille consciente, tout en gardant une marge de manœuvre puisque l’hypnose reste une forme de régression au service du moi, c’est-à-dire que le sujet n’accepte d’affaiblir ses fonctions psychiques que dans une certaine mesure. »

On le voit, la multitude et la diversité des définitions ne permettent pas d’avoir une vue claire de ce dont il est question. Mais, d’un point de vue spinoziste, aucune de ces définitions n’en est véritablement une, car aucune ne comprend la cause prochaine de la chose à définir, et, par conséquent, d’aucune d’entre elles nous ne pourrons déduire les effets constatés de l’hypnose.

En effet, si nous suivons Spinoza, pour les « choses créées », c’est-à-dire tout ce qui doit avoir été produit par autre chose que soi-même, tout ce qui n’est pas cause de soi, la définition devra être « génétique », c’est-à-dire mettre en évidence la cause suffisante de son objet de telle sorte que considérée en elle-même, toute les propriétés qu’on lui attribue pourront en être déduites. Ainsi la définition génétique du cercle n’est pas « figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales » parce que cela peut se rapporter à une définition plus fondamentale : « figure décrite par tout segment de droite dont une extrémité est fixe et l’autre mobile ».

Prenons un autre exemple : qu’est-ce que l’amour ? C’est, dit Spinoza, « une joie accompagnée de l’idée d’une cause« . Lorsque nous éprouvons une joie et qu’en même temps nous nous représentons un objet comme étant la cause de cette joie, nous l’aimons. Par exemple, j’éprouve un sentiment de bien-être et j’attribue ce sentiment à la présence de mon chien pour qui j’ai l’air si important, j’éprouverai alors naturellement de l’amour pour celui-ci. Un être dont je m’imaginerais qu’il ne me cause que de la tristesse ne provoquerait en moi que de l’aversion ou de la haine.

Ensuite on peut déduire de cette définition un propre et des propriétés. Le propre de l’amour est de m’amener à désirer m’unir à l’être aimé : il est naturel que je cherche la présence de ce qui me procure de la joie. Une des propriétés de l’amour est de pouvoir se changer en haine : quand par exemple j’imagine que l’être aimé ne m’aime pas autant que je l’aime, j’en tire l’idée d’une dévalorisation de ma personne, c’est-à-dire une tristesse et éprouver une tristesse accompagnée de l’idée d’une cause extérieure conduit à un état de haine plus ou moins intense. Les définitions de l’Éthique sont donc génétiques, c’est-à-dire qu’elles vont au cœur même de la chose à penser en donnant son essence, ce qui suffit à faire qu’elle est ce qu’elle est, sa « cause prochaine ».

Aucune des définitions précédentes n’est génétique, il s’agit en fait, à chaque fois, d’une concaténation d’effets ; ce sont des définitions « descriptives ».

Il nous faut donc en premier lieu obtenir une définition génétique de l’hypnose.

Pour ce faire, remarquons que la plupart des définitions mentionnées parlent de conscience, d’inconscience (et, en parcourant les écrits sur l’hypnose, aussi de « subconscience »), en général en insistant sur le fait que l’hypnose permet une déconnexion de la conscience au profit d’un accès privilégié à l’inconscient (ou, selon les auteurs au « subconscient »), censé être, au contraire de chez Freud, notre « ami bienveillant », qui « sait » mieux que nous ce qui nous est bénéfique et est aussi souvent présenté comme le « gardien infaillible de tous nos souvenirs et expériences ». Ces termes, conscience, inconscience et subconscience, sont généralement utilisés sans définitions préalables, les auteurs se basant sur la  connaissance intuitive que peut en avoir le lecteur lambda.

Désirant avoir une idée claire et distincte de chaque chose, il nous incombe de préciser tout d’abord ce qu’il faut entendre par …

Jean-Pierre Vandeuren

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