Le Petit Chaperon Rouge
« Le Petit Chaperon rouge a été mon premier amour. Je sens que si j’avais pu l’épouser, j’aurais connu le parfait bonheur. » (Charles Dickens)
Les versions présentées et les textes des différents auteurs sont souvent extraits de l’excellent dossier de la BNf consacré aux contes : http://expositions.bnf.fr/contes/
Le Petit Chaperon Rouge est probablement l’un des contes les plus connus. De la tradition orale française on en recense une trentaine de versions locales. Il fut l’objet d’une première version écrite par Charles Perrault (1697). Les deux versions ultérieures des frères Grimm (1812) forment avec celle de Perrault le trio de tête des versions littéraires les plus lues et adaptées par la suite. Ce conte est « une des réussites les plus paradoxales de notre littérature » (Marc Soriano) et sa popularité ne se dément toujours pas comme le montrent les multiples variantes contemporaines modernisées, du Petit Chaperon bleu marine de Dumas et Moissard au Petit Chaperon vert de Solotareff en passant par les versions de Fmurr ou de Claverie, dans laquelle la mère est marchande de pizza et le loup gérant d’une casse automobile.
Afin d’illustrer à la fois notre définition, la méthode d’interprétation spinoziste et les méthodes qu’il aurait rejetées, nous allons reproduire ci-après :
- l’une des versions orales, la version de Perrault et l’une de celles des frères Grimm,
- une étude très complète de la version orale par l’ethnographe et sociologue Yvonne Verdier, étude qui illustre à merveille l’herméneutique historique préconisée par Spinoza,
- une étude jungienne d’Erich Fromm
- une étude freudienne de Bruno Bettelheim
- une critique des deux études précédentes par Robert Darnton
Le conte de la mère-grand (Conte nivernais)
C’était une femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :
– Tu vas porter une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ta grand. Voilà la petite fille partie. A la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou qui lui dit :
– Où vas-tu ?
– Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
– Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des aiguilles ou celui des épingles ?
– Celui des aiguilles, dit la petite fille.
– Eh bien ! moi, je prends celui des épingles.
La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles.
Et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l’arche et une bouteille de sang sur la bassie.
La petite fille arriva, frappa à la porte.
– Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.
– Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
– Mets-les dans l’arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.
Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
– Pue !… Salope !… qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.
– Déshabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
– Où faut-il mettre mon tablier ?
– Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait : « Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin. »
Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
– Oh, ma grand, que vous êtes poilouse !
– C’est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez !
– C’est pour mieux me gratter, mon enfant !
– Oh! ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
– C’est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
– C’est pour mieux entendre, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
– C’est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
– Oh! ma grand, cette grande bouche que vous avez !
– C’est pour mieux te manger, mon enfant !
– Oh! ma grand, que j’ai faim d’aller dehors !
– Fais au lit mon enfant !
– Au non, ma grand, je veux aller dehors.
– Bon, mais pas pour longtemps.
Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller.
Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour. Le bzou s’impatientait et disait : « Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ? »
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.
Ce récit satisfait toutes les conditions de notre définition : il traite du désir de maturation d’une jeune fille, il utilise le merveilleux (le loup parle !), il console (la fin est heureuse), l’histoire utilise des termes qui permettent de situer le cadre social ambiant, elle baigne dans toutes les indéterminations qui favorisent l’identification à l’héroïne (ou à ce fieffé coquin de loup), elle satisfait le schéma actantiel de Greimas (exercice trivial).
Le récit de Perrault, au contraire de celui des Grimm, ne satisfait pas entièrement notre définition car il lui manque l’aspect « consolation » (la fin y est tragique), mais, vu son importance historique, et les conclusions que l’on peut en tirer quant aux intentions de l’auteur, nous le reproduisons aussi.
La version de Perrault
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir : sa mère en était folle, et sa grand-mère plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le petit Chaperon rouge. Moralité On voit ici que de jeunes enfants, Une version des frères Grimm Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mère. Elle ne savait qu’entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait si bien qu’elle ne voulut plus en porter d’autre. Du coup, on l’appela « Chaperon rouge ». Un jour, sa mère lui dit : « Viens voir, Chaperon rouge : voici un morceau de gâteau et une bouteille de vin. Porte-les à ta grand-mère ; elle est malade et faible ; elle s’en délectera ; fais vite, avant qu’il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t’écarte pas de ta route, sinon tu casserais la bouteille et ta grand-mère n’aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle, n’oublie pas de dire bonjour et ne va pas fureter dans tous les coins. » « Je ferai tout comme il faut », dit le petit Chaperon rouge à sa mère. La fillette lui dit au revoir. La grand-mère habitait loin, au milieu de la forêt, à une demi-heure du village. Lorsque le petit Chaperon rouge arriva dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c’était une vilaine bête et ne le craignait point. « Bonjour, Chaperon rouge », dit le Loup. « Bien merci, Loup », dit le Chaperon rouge. – Où donc vas-tu si tôt, Chaperon rouge ? – Chez ma grand-mère. – Que portes-tu dans ton panier ? – Du gâteau et du vin. Hier nous avons fait de la pâtisserie, et ça fera du bien à ma grand-mère. Ça la fortifiera. – Où habite donc ta grand-mère, Chaperon rouge ? – Oh ! à un bon quart d’heure d’ici, dans la forêt. Sa maison se trouve sous les trois gros chênes. En dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien ? dit le petit Chaperon rouge. Le Loup se dit : « Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les deux ! » Il l’accompagna un bout de chemin et dit : « Chaperon rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi ne les regardes-tu pas ? J’ai l’impression que tu n’écoutes même pas comme les oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu allais à l’école, alors que tout est si beau, ici, dans la forêt ! » Le petit Chaperon rouge ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit comment les rayons de soleil dansaient de-ci, de-là à travers les arbres, et combien tout était plein de fleurs, elle pensa : « Si j’apportais à ma grand-mère un beau bouquet de fleurs, ça lui ferait bien plaisir. Il est encore si tôt que j’arriverai bien à l’heure. » Le Loup, lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mère. Il frappa à la porte. – C’est le petit Chaperon rouge qui t’apporte du gâteau et du vin. Elle s’écria : « Bonjour ! » Mais nulle réponse. Elle s’approcha du lit et tira les rideaux. La grand-mère y était couchée, sa coiffe tirée très haut sur son visage. Elle avait l’air bizarre. – C’est pour mieux t’entendre… – Oh grand-mère, comme tu as de grands yeux ! – C’est pour mieux te voir ! – Oh grand-mère, comme tu as de grandes mains ! – C’est pour mieux t’étreindre ! – Oh grand-mère, comme tu as une horrible et grande bouche ! – C’est pour mieux te manger ! A peine le Loup eut-il prononcé ces mots, qu’il bondit hors du lit et avala le pauvre petit Chaperon rouge. Lorsque le Loup eut apaisé sa faim, il se recoucha, s’endormit et commença à ronfler bruyamment. Un chasseur passait justement devant la maison. Il se dit : « Comme cette vieille ronfle ! Il faut que je voie si elle a besoin de quelque chose. » Il entre dans la chambre et quand il arrive devant le lit, il voit que c’est un loup qui y est couché. Jean-Pierre Vandeuren |