Question de mots (et de maux)
« D’ailleurs, la plupart des erreurs consistent seulement en ceci que nous n’appliquons pas correctement le noms aux choses. » (Eth II, 47, Scolie)
Nous avons souligné l’impropriété du terme « antisémitisme » pour désigner la haine, ou du moins l’hostilité, dirigée contre les Juifs. De fait, le nom de « sémites » se réfère à des personnes appartenant à un des peuples originaires d’Asie occidentale (ancienne Mésopotamie et du Moyen-Orient), que la tradition fait descendre de Sem, fils de Noé, et qui ont parlé ou parlent les langues dites sémitiques (l’hébreu, l’arabe, l’araméen, le babylonien, l’assyrien, et l’amharique). Le terme « sémites » désigne plus particulièrement les peuples et les tribus bibliques ainsi que leurs descendants actuels, incluant aussi bien les Hébreux que les Arabes. Il n’est donc pas synonyme de juif. Proprement, l’antisémitisme devrait donc désigner une haine beaucoup plus large que celle dirigée uniquement contre les Juifs.
Mais l’histoire en a décidé autrement.
L’expression « antisémitisme » pour désigner la haine contre les Juifs apparaît pour la première fois dans un pamphlet publié en 1879, La Victoire du judaïsme sur la germanité, rédigé par le journaliste allemand Wilhelm Marr. Il y utilise les mots de « sémitisme » et d’« aryanisme », dérivés des classifications de la linguistique et de l’anthropologie physique de la seconde moitié du 19e siècle. La même année, il fonde la Ligue antisémite, qui consacre l’entrée du terme « antisémitisme » dans le vocabulaire politique. Ce nouveau terme est donc un produit direct des idéologies (donc des mythes !) nationalistes et racistes alors en pleine expansion et il va se populariser exclusivement en tant qu’expression de la haine antijuive.
Dans la foulée, il est utile de préciser d’autres mots liés à celui de Juif, tels qu’Hébreu, sioniste, Israélite, Israélien.
Le mot « Hébreu » proviendrait, selon la tradition juive, de ivri, dérivé de Eber, descendant de Sem, le fils de Noé, ou de ever, « au-delà » [du fleuve Euphrate]. Il désigne une personne appartenant au peuple des Hébreux. La Bible nomme Hébreux les tribus sémitiques semi-nomades qui vivaient en Syrie depuis le 19e ou 18e siècle avant JC et qui, après avoir traversé l’Euphrate, se sont installées en terre de Canaan (la Palestine) sous la conduite d’Abraham.
L’hébreu est aussi la langue, d’origine sémitique, de l’ancien peuple d’Israël (de la Bible Hébraïque) ainsi que la langue officielle de l’Etat actuel d’Israël. Mais d’où provient ce mot « Israël » ?
Toujours selon la Bible, Abraham et son épouse Sara, eurent un fils nommé Isaac qui, lui-même, eut deux fils, Saül et Jacob. Lors de son long séjour en Mésopotamie, Jacob combattit un personnage énigmatique durant une nuit entière et sortit boiteux de cet affrontement. Dieu donna alors à Jacob un nouveau nom, Israël, qui signifie « fort contre Dieu », car l’adversaire de Jacob était un ange envoyé par Dieu lui-même. Voilà l’origine biblique et la signification du mot « Israël ».
Comme il est bien connu, Jacob engendra douze fils. Le cadet, Joseph, se retrouva, bien malgré lui, en Egypte où, après moult aventures, il y fut rejoint par toute sa famille, ses onze frères et son père. Les Hébreux y prolifèrent durant de nombreuses générations pour finalement y finir en esclavage. Après avoir été sorti d’esclavage par Moïse et erré quarante années dans le désert, ils rejoignirent enfin la Palestine, Canaan, la Terre Promise par Dieu. Leur histoire suivit son cours (relatée par la Bible) et, après le règne du roi Salomon, le peuple Hébreu se scinda en deux royaumes distincts, celui d’Israël au Nord, avec Samarie pour capitale, et celui de Juda au Sud, avec Jérusalem en tant que capitale.
Le terme « Israélites » désigne les descendants du peuple formé par les douze fils de Jacob, aussi nommé Israël, comme nous l’avons vu, et dont l’histoire, décrite dans la Bible, commence à la sortie d’Égypte avec Moïse. Après le schisme qui suivit le règne du roi Salomon, le terme « Israélite » (du royaume d’Israël) s’opposa à « Judéen » (du royaume de Judée) d’où dérive le mot « Juif ».
Ce qui nous ramène au mot « Juif ».
Celui-ci provient donc de l’hébreu Yehoudi, habitant de Judée, et désigne une personne appartenant à la communauté du « peuple Juif », descendant des Hébreux ou de ceux qui les ont ralliés au cours des époques. Dans cette optique d’appartenance ethnique, il est d’usage d’écrire le mot avec une majuscule. Par ailleurs, écrit avec une minuscule (« juif »), il prend le sens de l’appartenance religieuse et désigne celui qui pratique le judaïsme. On le voit, la frontière est mince et l’amalgame entre « Juif » et « juif » constant.
Les mots «sionisme » et « sioniste » proviennent de l’hébreu Sion, l’une des collines de Jérusalem. Le sionisme est un mouvement né à la fin du 19e et au début du 20e siècle, visant à la création d’un Etat juif indépendant en Palestine. Il s’est développé sous la pression de l’antisémitisme et des pogroms d’Europe centrale, mais fut initié suite au choc provoqué par l’affaire Dreyfus. Plus politique que religieux, le sionisme trouve cependant son inspiration dans le sentiment mystique de l’avènement messianique et du retour du peuple Juif sur la Terre Promise. Theodor Herzl fut son principal organisateur. Il fut à l’origine de la création de l’État d’Israël en 1948.
Le terme « Israélien » désigne un habitant de cet État.
A la suite de ces clarifications, et au vu de notre explication du phénomène, il semble plus approprié de qualifier cette « haine religieuse du juif » par le terme d’antijudaïsme. Ce que nous ferons par la suite.
Jean-Pierre Vandeuren