VERDUNKELUNG (obscurcissement) : nuages sombres sur les libertés, la démocratie et la paix (9/9)

Conclusion et extension

  1. Conclusion

Cet article était motivé par l’effroi devant la transformation quelques fois rapide, d’autres fois plus lente, mais toujours apparemment inéluctable, de nombreuses démocraties en dictatures. Aussi par la stupéfaction de l’élection d’un Donald Trump à la magistrature suprême de la plus ancienne démocratie du monde et par la crainte de la possibilité de sa réélection. Comment ex-pliquer ces terribles phénomènes, dé-plier le voile de Maya qui recouvre le processus qui l’engendre ?

Bien entendu, je suis loin d’être le premier interloqué par cette constatation et nombre d’auteurs très qualifiés se sont frottés au problème. J’ai fourni une liste évidemment non exhaustive de leurs ouvrages et j’en ai lu nombre d’entre eux. Une conclusion assez commune en est que c’est le populisme qui enclenche le dépérissement des démocraties, conclusion que je partage. Mais je suis resté sur ma faim d’explication car je n’y ai jamais trouvé la raison essentielle, l’évidence de ce fait. Pourquoi ? Tout simplement parce que les deux termes principaux de cette conclusion, la démocratie et le populisme, ne sont jamais véritablement définis, la plupart des auteurs soit les considérant comme intuitivement évidentes et les utilisant sans se sentir obligés de les définir, peu d’autres, comme Pierre Rosanvallon, éminent professeur à la Sorbonne, avouant plus ou moins explicitement leur impuissance à définir ne fut-ce que le terme « démocratie ». J’ai déjà cité des extraits de son livre « Le siècle du populisme » où il souligne que la difficulté de cette définition est, en fait, la difficulté de définir la notion de « peuple » (« […] le peuple est introuvable. »). Et il a raison car démocratie et populisme font tous deux référence au « peuple » (démos en grec). Surmonter cette difficulté revient donc à parvenir à « trouver » ce peuple.

C’est, entre autres, ce nous nous sommes efforcés de faire et, en nous appuyant sur le concept originaire de multitude selon Spinoza, nous sommes parvenus à le « trouver », à le définir génétiquement.

De là, la démocratie est apparue, en simplifiant, comme le pluralisme institué et le populisme comme un anti-pluralisme. Ainsi, de façon évidente, il en découle que l’accession au pouvoir d’un populiste conduit inéluctablement à une régression et, au pire, à une destruction de la démocratie. Nous renvoyons évidemment au texte pour tous les détails.

2. Extension

Pour terminer, j’aimerais montrer la puissance de la démarche déductive que nous avons adoptée en abordant un autre danger interne qui menace la démocratie et nos libertés, celui du néolibéralisme. La dénonciation de ce danger est l’objet du livre de Wendy Brown, « Défaire le démos », dont le sous-titre, « Le néolibéralisme, une révolution furtive » énonce explicitement son projet. La démarche adoptée  y est de de type archéologique, à la manière de Michel Foucault. Wendy Brown est un des auteurs qui avoue buter sur la définition du terme « démocratie » et qui décide d’en laisser ouverte la polysémie.

La thèse, à présent, peut s’énoncer comme suit : « le néolibéralisme nuit gravement à la démocratie ».

Les deux termes reliés en sont « démocratie » et « néolibéralisme ».

Nous possédons une définition de « démocratie ». Qu’est le néolibéralisme ?

Brown, à la suite de Foucault, le considère comme « un ordre de la raison normative qui, lorsqu’il devient prépondérant, prend la forme d’une rationalité gouvernementale, étendant à toutes les dimensions de la vie humaine une combinaison spécifique de pratiques et de critères économiques. […] L’économisation généralisée de domaines et de sujets jusque-là non économiques, sans qu’ils fassent nécessairement l’objet d’une mercatisation ou d’une monétarisation, est [donc] la caractéristique distinctive de la rationalité néolibérale. »

Autrement dit, dans le vocable que nous avons introduit, le néolibéralisme favorise les opinions, les valeurs et les intérêts d’un sous-ensemble bien délimité du peuple, les capitalistes et, plus particulièrement, les capitalistes financiers. Il s’agit donc d’une forme particulière de populisme qui, en tant que tel, menace de l’intérieur les démocraties, ainsi que nous l’avons démontré. C.Q.F.D.

Brown formule cette menace comme suit : « S’agissant de la vie politique […], la néolibéralisation transpose les principes de justice de la politique démocratique dans les termes d’un idiome économique, transforme l’Etat lui-même en manager de la nation selon le modèle de l’entreprise (dans les années 1990, Thaksin Shinawara, alors premier ministre, déclarait qu’il était « le PDG de l’entreprise Thaïlande ») et vide la citoyenneté démocratique, et même la souveraineté populaire, de leur substance. Ainsi l’un des effets les plus importants de la néolibéralisation est la défaite de l’homo politicus, déjà passablement anémique de la démocratie libérale ».

Toujours au sein de notre vocable et de notre démarche, on peut encore démontrer la nuisance de la néolibéralisation d’une politique sur  les démocraties par le biais de sa pollution du Politique.

Foucault nous a enseigné qu’une rationalité politique « engendre de nouveaux sujets, de nouvelles conduites, de nouvelles relations et de nouveaux mondes ». En particulier, « Au sein de la rationalité néolibérale, le capital humain est à la fois notre « être » et notre « devoir-être » – ce qu’on dit que nous sommes et ce que nous devrions être et ce que la rationalité nous fait être à travers ses normes et sa production d’environnements. […] selon la raison néolibérale, la concurrence remplace l’échange comme principe fondamental et bien essentiel du marché. […] Cette transition subtile de l’échange à la concurrence comme essence du marché signifie que tous les acteurs du marché deviennent de petits capitaux (plutôt que des propriétaires, des travailleurs et des consommateurs) en concurrence  les uns avec les autres plutôt qu’engagés dans des échanges ».

Ce que nous sommes et désirons être ainsi que le type de relations que nous avons ou désirons avoir avec nos concitoyens relèvent du domaine du privé ; le public n’a pas à nous en dicter les normes. Or c’est exactement ce à quoi aboutit une politique néolibérale. Le public y a donc envahi le privé et, comme nous l’avons montré, une telle disposition conduit au totalitarisme qui est une négation de la démocratie. C.Q.F.D.

Jean-Pierre Vandeuren

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