VERDUNKELUNG (obscurcissement) : nuages sombres sur les libertés, la démocratie et la paix (8/9)

8. Populisme

Nous avons déjà consacré quatre articles au concept de « populisme » [Démocratie, populisme et démagogie, un point de vue spinoziste (1/4 à 4/4)], dont notre sous-section 7.1 consacrée à la notion de « peuple » reprend en partie le quatrième article de cette série. Le lecteur pourra éventuellement s’y reporter pour obtenir des informations plus étendues sur l’histoire du terme et ses apparitions historiques]. Ici, nous adopterons une définition du populisme qui ne contredit pas celle que nous y avions développée mais la précise en la raccrochant avec la définition de « peuple » que nous avons introduite ci-avant.

Car le terme « populisme » dérive de celui de « peuple », en réalité d’une restriction bien définie de ce dernier.

Ainsi, dans le cas particulier des Etats-Unis qui ont vu l’élection de Trump à la magistrature suprême, la classe moyenne blanche affronte depuis quelques années une lente paupérisation due à la montée en puissance du néolibéralisme et du capitalisme financier qui la laissent en rade au bord du chemin du « progrès » ; elle subit aussi la crainte d’une marginalisation ethnique, du fait de l’augmentation beaucoup plus rapide des populations latino-américaine, asiatique et, un comble !,  afro-américaine, cette dernière marginalisation étant d’autant plus mal vécue que cette classe est encore majoritairement raciste et « suprématiste », et, enfin, étant  encore également très chrétienne et conservatrice, elle subit aussi durement les évolutions laïques de la société comme le droit à l’avortement et le mariage pour tous. Ces nombreuses frustrations forment le ferment de peurs, d’indignations, de haines et de colères spécifiques qui agrègent cette classe et en font un sous-ensemble bien défini du peuple américain au sens où nous l’avons défini. C’est ce sous-ensemble qui représente le « peuple » de Trump, les « vrais » américains, à l’exclusion de la plupart des autres sous-ensembles, et qu’il faut absolument protéger contre tous ses « ennemis », en les insultant, les abaissant et les brimant au besoin : les élites (qui ne font rien pour améliorer le sort du « peuple »), les migrants (ces profiteurs qui vont voler les emplois et prendre les filles des américains), les afro-américains (qu’il ne faut surtout pas défendre face au « formidable » travail des policiers blancs), … Ce vivier de personnes frustrées forme la base électorale de Trump (quand-même une quarantaine de pourcents de la population globale des E-U) à laquelle il s’adresse multi-quotidiennement par tweets où par l’intermédiaire de Fox News, son média préféré. 

Chaque apprenti dictateur (Orban, Bolsonaro, Kaczynski, …) ou dictateur confirmé (Poutine) issu d’élections se réfère toujours à un sous-ensemble bien défini de la population qu’il qualifie de « peuple » (en fait « son » peuple) et dont presque tous les autres sont exclus. La religion, qu’elle soit chrétienne (Kaczynski, Salvini, Orban), protestante (Trump), orthodoxe (Poutine), islamique (Erdogan), hindoue (Modi) caractérise bien entendu à chaque fois ce « peuple ». Mais comme ce dernier occupe évidemment un territoire national, le nationalisme pur et dur va faire partie de la rhétorique des populistes car il faut protéger le « peuple » des envahisseurs religieux ou économiques qui pourrait le polluer, mais aussi lui rendre sa grandeur perdue : le « Make America Great Again », vielle antienne reaganienne reprise par Trump ;  le néo-ottomanisme de Erdogan visant à pallier les frustrations à la fois nationales et  religieuses d’un certain nombre de ses concitoyens (« Make Turkey Great Again ») ; Les rêves poutiniens de retour à une grandeur russe passée tels que présentés dans le livre « Les quatre guerres de Poutine » de Sergueï Medvedev (« Make Russia Great Again »). Et, enfin, ce « peuple », intronisé sous ce label par le dirigeant lui-même, reste « son » peuple, c’est lui qui en est le guide et souverain absolu, même si la magie des mots l’a cette fois étendu à la nation entière. C’est ainsi que se révèle l’autoritarisme du dirigeant issu des urnes. Nationalisme, autoritarisme et ferveur religieuse (fut-ce à l’égard d’une idéologie telle le communisme) sont ainsi trois caractéristiques du populisme que nous définissons comme suit :

Le populisme est un mouvement politique prenant place au sein d’une démocratie représentative, en général incarnée par un dirigeant charismatique, qui se focalise principalement ou exclusivement sur  la satisfaction des intérêts supposés d’un sous-ensemble du peuple qui s’estime être dans une situation en danger ou dégradée socialement, économiquement ou prestigieusement par rapport à un idéal, une idée ou une situation antérieure.

Le populisme est donc un anti-pluralisme systématique et, dès lors, est nécessairement, par définition même, un antidémocratisme. C’est effectivement un cancer, une lente détérioration, qui ronge la démocratie dont il est issu.Et du fait, ainsi que nous l’avons montré, que la démocratie est une condition nécessaire de garantie de la paix, le populisme est un facteur d’augmentation des animosités tant intérieures qu’extérieures, comme le montrent, par exemple, la polarisation intense actuelle de la société états-unienne ainsi que les attitudes bellicistes de la Turquie d’Erdogan.

Le populisme possède donc une connotation négative par rapport à la démocratie, étant un mal pour celle-ci. Cependant, c’est malgré tout positivement qu’elle est définie, il s’agit d’une force politique agissante, même si elle se trouve être une perversion du Politique, car elle se caractérise par une introduction illégitime quant à l’essence du Politique de la relation ami/ennemi à l’intérieur de la Nation, alors que cette relation ne peut régir que les rapports de la Nation avec les autres Nations.

C’est aussi cette force politique qui permet à un égocrate d’accéder au pouvoir et d’y menacer les libertés ; c’est le cheval de Troie de l’apprenti dictateur.

Mais il est temps de préciser les notions de puissance et de pouvoir.

9. Puissance et pouvoir

La puissance d’un sous-ensemble de la multitude correspondant à un sous-ensemble du peuple, c’est-à-dire un agrégat particulier d’intérêts et de valeurs, est ce que ce sous-ensemble des sujets fournissent à quelqu’un ou à un groupe en mettant à son service son énergie vitale.

Ainsi, aux Etats-Unis, le sous-ensemble formé par les suprématistes chrétiens blancs est une puissance fournissant à Trump leur dévotion inébranlable, leur participation enthousiaste à ses meetings et leurs votes aux élections.

Le pouvoir, c’est la capacité d’action collective mobilisée par un gouvernement dans la mesure où il parvient à capturer la puissance d’un sous-ensemble suffisamment nombreux de la multitude.  

Le pouvoir est donc ce que le gouvernement applique à toute la multitude en utilisant les forces qui lui sont fournies par une partie de celle-ci, ce qu’il peut faire pour lui nuire, dans le cas d’un dictateur, en germe ou confirmé, ou pour mieux l’organiser dans le respect des libertés.

Aux Etats-Unis, dès ses premiers décrets, Trump a initié une série de mesures destinées uniquement à satisfaire les intérêts de son parti et de sa base électorale mais nuisible à d’autres groupes ou à l’ensemble de la nation. Le détricotage de « l’obamacare » compliquera l’accès de nombreux américains à la souscription d’une assurance-maladie mais plaira au parti républicain ; la relance de construction d’oléoducs nuira en particulier aux Amérindiens dont les territoires seront traversés par l’un d’entre eux et, en général, à toute la population américaine par la dégradation écologique qu’elle provoquera, mais plaira à certaines compagnies et aux ouvriers qu’elles pourront employer ; la construction du mur à la frontière mexicaine est un énorme gâchis financier, en plus d’être une gifle à la face de l’humanité, mais plaît aux nationalistes invétérés … On pourrait continuer cette litanie de mesures et de positions quasi-électorales prises par Trump tout au long de son mandat, destinées à satisfaire uniquement sa base électorale et indifférentes au sort de la Nation en son entier, les dernières en date étant son déni de la gravité de la pandémie du coronavirus au profit d’une relance économique et son mépris des afro-américains violentés par des policiers blancs au profit de l’opinion des suprématistes blancs.

Jean-Pierre Vandeuren

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