Spinoza et la théorie de la dissonance cognitive (1)

« Il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé »

                                                           Albert Einstein

La théorie de la dissonance cognitive

Il y a plus de cinquante ans, en 1957, le chercheur américain Léon Festinger élaborait la théorie de la dissonance cognitive pour expliquer le mécanisme contre-intuitif, selon lequel un fait qui dément une croyance n’entraîne pas forcément un abandon de la croyance, mais au contraire son renforcement, contrairement à toute logique rationnelle. Il avait particulièrement étudié la croyance d’un groupe millénariste prédisant la fin prochaine du monde qui, face à l’échec de la prophétie, l’apocalypse n’étant pas arrivée à l’heure prévue, s’abritait derrière des justifications fantaisistes et surtout redoublait de prosélytisme :

Au début des années 1950, une dame d’un certain âge, mademoiselle Keech, affirma recevoir des messages d’extraterrestres de la planète Clarion. Un jour, un de ces messages l’informa que le 21 décembre de cette année-là, la Terre serait détruite par un déluge effroyable, mais qu’un escadron de soucoupes volantes viendrait la sauver, ainsi que toutes les personnes qui seraient proches d’elle à ce moment.

Un groupe de fidèles s’attacha à la dame et attendirent la fin du monde en sa compagnie et, menant désormais une existence conforme à leur croyance, ils renoncèrent à tous leurs biens, quittèrent leurs emplois et se coupèrent de leurs amis et connaissances. Parmi ces disciples se trouvaient également, incognito, des psychologues, qui souhaitaient observer le comportement des membres du groupe, en particulier au moment  du jour fatidique.

Ces psychologues notèrent que les membres du groupe étaient inoffensifs, doux, qu’ils refusaient toute publicité et toute entrevue dans les médias, ne faisant aucun prosélytisme, vivant sereinement dans l’ombre selon leurs convictions.

Le 20 décembre, la dame en question reçut un nouveau message des habitants de Clarion, qu’elle transmit à ses adeptes : la fin approchait, ils devaient se tenir prêts, on viendrait les chercher à minuit précisément. En outre, ils ne devaient porter aucun métal sur eux. On retira donc boutons et fermetures éclairs de tous les vêtements.

Minuit vint et passa. Durant les heures qui suivirent, le désespoir et le désarroi du groupe étaient palpables. Mais à 4h45, mademoiselle Keech reçut des « Clarioniens » le message que leur action et leur foi avaient sauvé le monde d’une calamité. En conséquence, leur transfert par soucoupe volante n’était plus nécessaire. Le groupe ne se tint plus de joie.

Le groupe, jusque-là discret, se lança alors dans d’innombrables et passionnées campagnes pour faire connaître et défendre ses idées. Son prosélytisme était sans bornes. Les membres du groupe contactaient les médias, donnaient des conférences, prononçaient des discours dans la rue. Leur foi en mademoiselle Keech s’était trouvée renforcée par ce qui s’était passé.

Comment expliquer un tel comportement, contraire à toute logique rationnelle ?

Léon Festinger définit la dissonance cognitive comme « Un état de tension désagréable dû à la présence simultanée de deux cognitions (idées, opinions, comportements) psychologiquement contradictoires ».

On peut résumer la théorie de la dissonance cognitive par les neuf propositions ci-après :

  1. La dissonance cognitive est un état pénible.
  2. L’individu essaie de réduire ou d’éliminer la dissonance cognitive et d’éviter tout ce qui l’augmenterait.
  3. Dans un état de consonance cognitive l’individu éviterait tout ce qui pourrait produire de la dissonance.
  4. L’intensité de la dissonance cognitive varie en rapport direct avec :

– l’importance des cognitions concernées,
– la proportion de cognitions ayant une relation dissonante

5. L’intensité des tendances décrites en 2 et 3 est en rapport direct avec l’intensité de la dissonance.

6. La dissonance cognitive peut être réduite ou éliminée :

– en ajoutant de nouvelles cognitions ou
– en changeant des cognitions existantes

7. Ajouter de nouvelles cognitions réduit la dissonance :

– quand les nouvelles cognitions renforcent les éléments consonants et diminuent donc la proportion des éléments cognitifs qui sont dissonants,
– quand les nouvelles cognitions diminuent l’importance des éléments cognitifs en état de dissonance.

8. Changer des cognitions existantes réduit la dissonance quand :

– leur nouveau contenu les rend moins inconsistants ou
– leur importance diminue.

9. Cette augmentation ou ce changement de cognitions peut se faire en changeant les aspects cognitifs de l’environnement, « par l’action ».

Lorsque, comme dans l’exemple précité de la secte millénariste, les faits contredisent sans appel les croyances des personnes, la théorie de la dissonance cognitive explique ce comportement irrationnel par le fait que lorsque les croyances sont profondément ancrées, la plupart des individus visent à les conserver intactes face à une réalité dérangeante. Elles mettent en place des processus psychologiques inconscients, destinés à  minimiser et faire oublier ce qui les dérange, ou détourner leur attention, ou bien les amener à réinterpréter le réel de sorte que leurs croyances restent intactes.

Mais, selon nous, il ne s’agit pas là d’une véritable explication du comportement, mais plutôt d’une typologie des réactions face à un phénomène, tout comme les neuf «propositions » ci-dessus énoncées. En effet, cette théorie n’exhibe pas les causes du phénomène, mais se contente d’en postuler une raison –la conservation de croyances profondément ancrées -, les causes restant dissimulées sous le couvert de bien pratiques « processus psychologiques inconscients ».

Les personnes en proie à une « dissonance cognitive » subissent en général les causes extérieures : ils sont sous l’emprise de la passion. L’explication causale de leurs réactions doit donc faire appel à une théorie des passions et l’Ethique est dès lors très bien placée pour traiter de ce sujet. Nous allons donc montrer que la théorie de la dissonance cognitive s’y trouve déjà abordée et qu’on peut y découvrir les causes passionnelles des comportements irrationnels mentionnés…

Jean-Pierre Vandeuren

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