Essai de pédagogie spinoziste (3)

Seconde entité : la matière

Mais pourquoi celui-ci aime-t-il cette matière, éprouve-t-il de la joie à son idée ? Parce qu’il lui a trouvé quelque chose qui lui convient, c’est-à-dire quelque chose que son être partage avec elle, qu’ils ont tous deux en commun. C’est parce que cette matière, les mathématiques, la philosophie ou l’histoire, par exemple, correspondent à son orientation intellectuelle particulière, que le professeur éprouve de la joie à son idée. Mais ce goût n’est souvent que le résultat d’une rencontre privilégiée, un enseignant charismatique par exemple, et donc le fruit d’une imagination.

La tâche pédagogique du professeur sera de mettre en évidence une communauté de nature entre ses élèves et la matière enseignée. Dans le cas d’un nombre restreint d’élèves, chacune de leur nature pourrait être prise en particulier, mais dans le cas de classes nombreuses, il faudra jouer sur des traits communs plus généraux, culturels, préoccupations communes, etc. et ce jeu consistera à associer des images à la matière car il s’agit d’imaginer les similitudes.

L’imagination est l’idée d’une chose particulière qui nous a affecté, idée confuse car elle exprime plus notre état corporel que la nature de la chose en question. En reprenant  l’exemple de la gravitation, une imagination commune est celle de la vue de la rotation de la lune autour de la terre ou celle de notre poids corporel qui peuvent introduire le problème de la gravitation terrestre. A partir de là, il serait bon de rester accroché à cette chose particulière en sautant de l’imagination, connaissance confuse du premier genre, à … l’intuition, connaissance adéquate du troisième genre, lorsque cela est possible.

A cela deux raisons. D’abord, l’imagination est une vertu lorsqu’elle se débarrasse de l’illusion :

« Car si, tandis qu’il imagine comme lui étant présentes des choses inexistantes, l’Esprit savait, en même temps, que ces choses, en fait, n’existent pas, il attribuerait à bon droit cette puissance d’imaginer non pas à un vice, mais à une vertu, … » (Eth II, 17, Scolie).

L’Imagination est un puissant auxiliaire de la Raison que Spinoza utilise en tant que tel dans la libération de l’homme :

« De cette façon nous joindrons l’image de cette injustice à l’imagination de cette règle … » (Eth V, 10, Scolie).

L’imagination de la rotation du soleil autour de la terre est utile car c’est en fonction de celle-ci que l’homme règle son existence, et elle n’est pas illusoire si elle est accompagnée du savoir que c’est en fait la terre qui tourne autour du soleil.

Ensuite, seconde raison, c’est que la véritable connaissance est connaissance par les causes et est déductive. Et le fait même de déduire les effets des causes permet d’intérioriser l’enseignement et, évidemment aussi, de pouvoir l’utiliser efficacement. En partant de la connaissance du deuxième genre, c’est-à-dire des lois, par exemple celle newtonienne de la force gravitationnelle, le professeur plaque sur l’esprit de l’élève une formule sans cause et donc sans raison interne à cet esprit. Cette connaissance lui restera extérieure, même si, justifié par d’autres raisons (nécessité sociale de réussite, …), il pourra l’utiliser de façon plus ou moins habile. Il appliquera la loi aux cas. La connaissance du troisième genre, elle, permet de voir la loi dans le cas et, étant connaissance d’une chose particulière, peut être épaulée par l’imagination, par exemple par l’imagination de l’effet  d’une boule massique déposée sur une nappe tendue, l’élève peut « voir » la cause de la gravitation et admettre, même sans « les yeux de la démonstration » la loi mathématisée qui la régit. La formule prend vie en lui.

Dans quelle mesure cette démarche pédagogique est-elle toujours, ou suffisamment souvent, praticable ? Car, cette fameuse connaissance du troisième genre semble « aussi difficile que rare ». Nous savons aussi qu’elle consiste en la connaissance de l’essence des choses déduite de celle des attributs, c’est-à-dire reliée à « Dieu » ou la Nature comme sa cause. En pratique, l’enseignant qui dispense un savoir bien établi, peut évidemment se dispenser de ce lien et de sa déduction, et partir de l’essence de la chose à enseigner, s’il la connaît.

Jean-Pierre Vandeuren

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