Spinoza, Mahomet, le Coran et l’Islam (8/8)

La ré-ception de ce mythe et sa possible dé-ception

« Seul le savoir nous permettra (…) de délivrer de leur folie ceux qui ont une foi superstitieuse dans la toute-puissance de la violence. »

(Fang Lizhi)

Souvenons-nous de Platon et du très célèbre passage de la République où Socrate utilise le participe composé muthopoïos, « faiseur de mythes » pour désigner les poètes. Ce passage a été souvent cité et commenté, car c’est là que le philosophe chasse de sa cité les poètes menteurs (Hésiode, Homère). Mais on oublie souvent aussi de rappeler que, s’il les chasse, ce n’est pas par mépris pour leurs inventions, les « mythes », mais au contraire parce qu’il attribue à ces inventions un énorme pouvoir, celui de modeler les âmes, de construire les enfants à qui ils sont racontés, tout comme c’est grâce à l’éducation des enfants que les mythes religieux s’enracinent dans leur esprit.

C’est justement dans cette éducation familiale, mais, dans les milieux musulmans, même au sein de nos sociétés occidentales, aussi pratiquement obligatoire dans des écoles coraniques, que se formatent les esprits religieux des jeunes et moins jeunes.

Il est d’ailleurs symptomatique de relever l’intérêt tout particulier accordé à l’éducation des jeunes par les Frères Musulmans, organisation politico-religieuse fondée par l’instituteur Hasan al-Bannā’ et qui se donne pour objectif d’imposer dans tous les pays musulmans un retour aux valeurs islamiques fondamentales, donc à l’application stricte de la charia, la loi de Dieu (« Le Coran est notre Constitution » est leur mot d’ordre principal).

Citons, en guise d’exemple un passage éloquent du livre Pourquoi j’ai quitté les Frères Musulmans de Mohammed Louzi :

« Hassan al-Banna (1906-1949) a été instituteur durant presque 19 ans. En parallèle de ses fonctions dans l’enseignement, il commença sa prédication et fonda les Frères musulmans en 1928. Il quitta le chemin des écoles en 1946. L’éducation des enfants et des jeunes le préoccupait singulièrement. Cette préoccupation était excessivement manifeste chez ses « frères » contemporains. Elle l’est toujours chez ses successeurs, en Égypte, dans les pays arabes et en Occident. S’adresser à ces tranches d’âge, à travers les parents, les instituteurs, mais aussi de manière directe, lors de rassemblements ou durant les colonies de vacances, cela représentait l’une de ses priorités capitales. Il considéra durant toute sa vie la jeunesse, y compris les enfants en bas âge, comme étant l’avenir de son mouvement et de son projet islamiste.   

En effet, dans ses différentes épîtres, nombreux sont les passages dans lesquels il aborde, longuement, la question de l’éducation de la jeunesse selon les fondamentaux de sa vision idéologique et de sa doctrine politique. Il y a même une épître de presque dix pages, professée vers la fin des années 30, dédiée expressément à la jeunesse, qui commence ainsi : « Ô jeunes ! Une idée ne peut connaître le succès que si l’on y croit fortement ; que si l’on fait preuve de loyauté à son égard ; que si l’enthousiasme s’amplifie pour elle et que si l’on fait preuve d’aptitude à se sacrifier et à œuvrer pour la concrétiser. D’ailleurs, ces quatre éléments fondamentaux, à savoir : la conviction, la loyauté, l’enthousiasme et l’action sont des qualités qui sont presque spécifiques aux jeunes, car la base de la conviction, c’est le cœur intelligent. La base de la loyauté, c’est l’esprit sain. La base de l’enthousiasme, c’est le sentiment fort. Et la base de l’action, c’est l’ardente détermination. Toutes ces qualités ne se trouvent que chez les jeunes. C’est pour cette raison que les jeunes ont toujours été, par le passé comme aujourd’hui, dans chaque nation, le pilier central de son renouveau. Et dans chaque renouveau, le secret de sa force. Et pour toute idée, les porteurs de son étendard. Dieu dit : « C’étaient des jeunes gens [les gens de la caverne] qui croyaient en leur Seigneur et que Nous avons fortifiés dans la bonne voie. » (Coran, 18, 13).

Dans cette même lettre historique, Hassan al-Banna expliqua à sa cible ses devoirs et obligations, pour sauver la nation musulmane des dérives et des échecs. Il exposa, en des termes clairs, l’essentiel de sa vision stratégique lointaine, ainsi que les missions qu’elle devait accomplir, pour atteindre les buts politiques recherchés par la confrérie.   

Ici, il rappela l’un de ses credos essentiels, je traduis : « Nous croyons fermement qu’il n’y a qu’une seule et unique idée qui est capable de sauver ce monde tourmenté, d’orienter l’humanité perdue et de guider les gens vers le droit chemin. Une idée qui mérite que l’on y sacrifie nos vies, notre argent et tout ce que l’on possède, que ce soit des choses dérisoires ou bien très chères, pour la proclamer et l’annoncer aux gens, afin de les entraîner à l’embrasser. Cette idée est l’Islam. »

Un peu plus bas, il dit : « Nous allons faire le jihad pour concrétiser notre idée. Nous allons lutter pour sa cause durant toute notre vie. Nous allons appeler tout le monde à y adhérer. Nous allons tout sacrifier pour elle. Deux choix nous sont offerts, ou bien nous vivrons dignes grâce à cette idée, ou bien nous mourrons dignes pour sa cause. Notre devise sera toujours : « Allah est notre ultime but ; le Messager est notre exemple et guide ; le Coran est notre constitution ; le jihad est notre voie ; mourir dans le sentier d’Allah est notre plus grand espoir. » »

De tels discours enflammés ont un pouvoir certains d’embrigadement surtout sur une jeunesse souvent déçue, désemparée et dépourvue d’esprit critique.

Il nous apparaît donc qu’un contre-discours démythificateur et démystificateur adapté et basé sur l’analyse historico-critique que nous venons de présenter devrait être largement diffusé et ne pourrait  être réfuté par aucun ouléma ou autre imam, car, en définitive, la volonté de Dieu, que celui-ci s’appelle Jupiter, Jehova ou Allah, n’est jamais que « l’asile de l’ignorance » (Eth I, Appendice) et c’est de cette ignorance que naissent l’aliénation et le fanatisme. La désaliénation ne peut donc passer que par la connaissance vraie.

Sait-on que Le nom «Boko Haram» du sanguinaire groupe terroriste islamique nigérian signifie «l’éducation occidentale est un péché» en langue haoussa ? N’est-ce  pas là l’expression de la peur de l’ennemi le plus implacable, cette connaissance vraie prônée par l’éducation occidentale?

Dans sa lettre ouverte au monde musulman (voir, par exemple, https://blogs.mediapart.fr/monica-m/blog/100115/lettre-ouverte-au-monde-musulman-abdennour-bidar), le philosophe Abdennour Bidar, spécialiste des évolutions contemporaines de l’Islam et des théories de la sécularisation et post-sécularisation, aboutit à la même conclusion quant à la nécessité de réformer l’éducation des jeunes (il s’adresse au monde musulman en le tutoyant) :

« Alors ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant Etat Islamique t’aient pris ton visage ! Les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la foisIl faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. »

Cette « réflexion et culture critique du religieux » n’est autre que la méthode historico-critique initiée par Spinoza et poursuivie par les chercheurs contemporains dont nous avons utilisé les lumineux résultats, lumineux car permettant d’opposer la lumière de la vérité historique à l’obscurantisme engendré par les falsifications des pouvoirs religieux et politique identifiés dans un Etat théocratique.

Jean-Pierre Vandeuren

2 réflexions au sujet de « Spinoza, Mahomet, le Coran et l’Islam (8/8) »

  1. Cher ami

    J’ai lu avec plaisir votre étude.
    Vous exposez les thèses défendues par Jean-Jacques Walter, Patricia Crone et Edouard-Marie Gallez. Ce sont des thèses intéressantes mais sont-elles corroborées par d’autres études scientifiques ?
    Quoi qu’il en soit, j’étais a priori convaincu de l’origine purement humaine du Coran.
    Je vous remercie également d’avoir signalé la belle lettre ouverte aux musulmans de Abdennour Bidar.
    Je signale au lecteur le sujet « Spinoza et la religion musulmane » en :

    http://www.spinozaetnous.org/forum/viewtopic.php?f=14&t=1596&p=23171#p23171

    Amicalement

    Jean-Pierre Lechantre

  2. Bonjour, de lien en liens, tombé sur votre blog,
    et cette étude qui, partant de Spinoza, s’éloigne longuement dans le moyen-orient plus ou moins mythique des nazoréens et autres judéo-nazaréens, etc.mais termine heureusement sur Bidar, je me demande combien de fois au cours de vos travaux ou publications vous aurez été (ou mérité d’être) traité d’islamophobe…
    Quoi qu’il en soit, merci de votre application et de votre constance (même si elle peut sembler aussi militante que philosophique).

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